Vue Du Port De Marseille Vers 1755, Vernet Et Son Atelier































XVIII ème siècle
Ce tableau incarne tout le raffinement de l’art du XVIIIe siècle, la maîtrise des grandes maitres dans la représentation de paysages marins.
Peint à l’huile sur toile, il s’inscrit dans la lignée des vues méditerranéennes qui ont fait la renommée de plusieurs artistes réputés, tel que Vernet pour cette représentation.
À travers une composition soigneusement équilibrée, l’œuvre est empreinte d’une narration diverse où la lumière et les détails s’unissent pour raconter une histoire à la fois élégante et captivante.
Les personnages au premier plan, les arbres massifs et le ciel lumineux s’organisent en une harmonie théâtrale. La lumière douce et dorée, typique de Vernet, accentue l’effet pittoresque. Certaines caractéristiques sont propres aux tableaux de Vernet et reviennent régulièrement dans ses représentations.
Au premier plan, des personnages élégamment vêtus s’affairent au bord de l’eau, illustrant pour certains une activité portuaire et pour d’autres une rencontre mondaine typique de l’époque.
Les personnages dans les oeuvres de Vernet sont toujours disposés en groupes narratifs, intégrant une touche d’élégance ou de quotidien, parfois idéalisée.
Le groupe est très régulièrement constituée de femmes élégamment vêtues portant parfois ombrelle, notamment rose, comme c’est le cas dans son tableau A View of Avignon, from the Right Bank of the Rhône Near Villeneuve vendu pour 6 231 346 euros en juillet 2013 à Londres
ou encore son Mediterranean Harbor at Sunset with the Artist, His Daughter Emilie Chalgrin, His Son Carle Vernet, His Daughter-In-Law, Fanny Moreau, and His Servant Saint-Jean, on a Pier, a Lighthouse and a Natural Arch Beyond (1788) vendu 1 883 137 euros en janvier 2013 à New York.
On y retrouve également le petit chien très actif, comme dans plusieurs de ses autres tableaux
Tel que Retour de pêche dans un port méditerranéen au soleil couchant, un groupe d’Orientaux à droite (1780) vendue 630 000 euros le 4 novembre 2011 à Paris
ou dans A Grand View of the Sea Shore Enriched with Buildings, Shipping and Figures (1776) vendu
5 134 264 euros en janvier de la même année, à New York,
A Mediterranean Port at Sunset, with a Fisherman in the Foreground and a Couple at Left Walking Along the Rocky Coast (1778), trouva acquéreur pour
559 473 euros en janvier 2019 également à New York
ou encore le Le Soir/Clair de Lune (1752) vendu 2 106 440 euros en décembre 1999 à Londres.
Toujours de trois-quart la queue vers nous, il semble observer le rivage lointain.
L’arrière-plan dévoile un paysage baigné de lumière, avec un navire à voiles aux larges des eaux calmes, enrichissant la scène et évoquant le commerce et l’aventure maritime. Typique des œuvres de Vernet, il se présente légèrement dos à nous, un large drapeau accroché à la poupe et un fin drapeau presque filamenteux au sommet du plus haut mât, volant au rythme du vent. On retrouve ces caractéristiques dans les tableaux cités plus haut mais également dans d’autres très grands tableaux, comme son
A Mediterranean Harbor at Sunset with Fisherfolk at the Water’s Edge, a Lighthouse and a Man of War at Anchor in the Bay (1761) vendu 1 778 889 euros en janvier 2011 à New York
Ou encore son Mediterranean Harbour at Sunset with Fisherfolk and Merchants (1750) vendu 867 288 euros en avril 2000 à Londres
Sur la gauche, de l’autre côté de la rive, on peut remarquer un bâtiment identifiable comme étant le château Borély, emblème de Marseille (actuel Musée des arts décoratifs de la ville).
A cette époque, celui ci n’était qu’à l’ébauche de croquis de Charles Louis Clérisseau, peintre et architecte français (1721-1820).
Louis Borély, descendant d’une riche famille commerçante, commanda à Clérisseau, la construction sur le domaine rural de Bonneveine, de la plus belle bastide, pour qu’elle soit reconnu comme un véritable château.
Après la représentation du château par Clerisseau, celui-ci trop complexe fut seulement exécuté avec quelques changements par l’architecte Camtadin Esprit Brun (1710-1804) sous Louis-Joseph Denis, fils de Louis Borély.
Ce détail est incontestablement une empreinte profonde de solide relation entre les artistes et les hauts représentants de l’époque.
En effet, le château n’ayant été construit qu’en 1767, la version de Vernet de 1755 est le témoin de l’estime que Vernet devait suscité à l’époque, lui permettant d’avoir accès à des informations non publiées. Et peut être même d’influencer quelques idées d’architectes.
Niché au cœur de la nature environnante. cette inclusion confère une dimension géographique précise de l’oeuvre, qui la rend précieuse dans l’histoire du patrimoine marseillais.
Le paysage ici est plus intime avec une atmosphère douce et moins dramatisée que dans des pièces telles que
« clair de Lune » vendu 853 352 euros le 6 décembre 2017 à Londres.
Il se rapproche d’autant plus de certaines grandes toiles dont la lumière dorée et les nuages vaporeux rappellent les cieux mouvants qui caractérisent l’art de Vernet, tout en ajoutant une touche méditerranéenne chaleureuse, comme son Mediterranean Harbour Scene at Sunset, with Fishermen (1765)
vendu 1 522 776 euros en juillet 2007 à Londres
Traits caractéristiques qui fait de notre tableau une œuvre de grande qualité.
Dont on peut également remarquer une autre caractéristique que l’on retrouve également dans notre tableau.
L’œuvre se distingue en effet par sa finesse dans le traitement des détails architecturaux et botaniques. Souvent caractérisé, tel qu’il est le cas dans notre tableau, par des arbres en premier plan, aux branches sinueuses et à l’ombre délicate, encadrant la scène de manière théâtrale, et des rocher à l’opposé, comme pour inviter le spectateur à pénétrer dans ce monde enchanteur. Ce choix scénographique, que l’on retrouve dans maintes compositions de Vernet, met en évidence sa capacité à construire des espaces visuels riches et immersifs, souvent empreintes de monuments architecturé en arrière plan.
On peut le constaté dans Son «Calme»/«Tempête» (1773) vendu 3 406 025 euros en juillet 2023 à Londres et dans beaucoup d’autres tableaux
ou encore Temple antique au bord d’un rivage au soleil couchant (1769)
vendu 1 544 000 euros à Paris en juin 2007. Et dans beaucoup d’autres tableaux de l’artiste.
L’une des caractéristiques les plus importantes de notre tableau est sa duplicité.
A ce jour, trois tableaux de cette composition fut retrouvés.
L’un intitulé “visite au port” en collection particulière est signé et daté en bas à gauche “joseph Vernet 1755 f.” (dimensions 87 x 136 cm). Ce dernier est pris comme référence dans l’article d’Emilie Beck Saiello (actuelle experte de Vernet) édité en 2018 “entre Paris et Marseille, rives méditerranéennes. Quelques réflexions sur les relations provençales de Joseph Vernet avec l’Académie phocéenne »
Un second tableau « vue idyllique d’une baie rocheuse méditerranéenne », à la composition identique, de dimensions 72,5 x 98,5 cm fut mis aux enchère à Monaco en 1987 avec une estimation de 400 000 FRF – 600 000 FRF (soit environ 61 000 – 92 000 euros) Comme le notre il s’agit, de part la qualité, d’un tableau d’atelier réalisé au côté et avec Vernet.
Enfin, le troisième tableau, celui que nous présentons est également une composition identique à celui de Vernet avec quelques infimes différences.
Comme le mentionne Emilie Beck Saiello, « Le tableau (signé Vernet 1755) ne semble pas clairement identifiable parmi les commandes du livre de raison de l’artiste, et ce malgré la présence d’un personnage en rouge, assez caractérisé, au premier plan, qui pourrait correspondre au commanditaire. (…) La qualité de l’œuvre en fait néanmoins l’un des tableaux les plus remarquables du séjour de Vernet en Provence. Elle montre également la séduction du paysage phocéen auprès des amateurs et le prestige des commandes passées à l’artiste pendant sa permanence provençale »
Ce tableau est autant une démonstration caractéristique de la qualité d’un Vernet que le rôle pédagogique de l’artiste. Vernet, comme de nombreux maitre à époque, réalisait souvent une version originale d’un tableau, qui pouvait être ensuite reproduite ou légèrement modifiée par son atelier sous sa supervision, à la fois pour transmettre son savoir-faire que pour répondre à la demande croissante des paysages méditerranéens très en vogue au XVIIIe siècle.
Il est probable que la première version de cette composition, signée et datée en 1755, ait servi de modèle direct pour les deux autres œuvres. La qualité de ces toiles démontre l’intervention directe du maître dans certaines parties clés, notamment le ciel, les effets de lumière et la finesse des détails.
Une attention particulière est portée à la lumière, qui structure l’espace et donne une profondeur remarquable. Les ciels vaporeux et les reflets sur l’eau sont des éléments emblématiques de Vernet dont on peut constater de la qualité dans notre tableau.
Le choix du sujet comme représentation multiple est possiblement dû à l’attention que Vernet portait à ses séjours à Marseille. D’Après Emilie Beck Saeillo, « Cette (grande et diverse) clientèle continuera à lui acheter des tableaux après son départ. Les vues du port de Marseille, exposées dans la ville avant leur envoi à Paris, susciteront l’admiration par leur qualité et la modernité de leur composition et connaîtront une rapide fortune artistique. »
La première version de ce tableau étant réalisée juste après son départ de Marseille, elle est l’illustration de cette fascination pour les œuvres méditerranéenne de Vernet et les nombreuses commandes qui en résultèrent. La duplicité de cette composition par notre peinture fait de notre tableau un témoignage fascinant du mode de travail de Joseph Vernet (et de son atelier).
Cette importance est soulignée notamment par la disparition dans notre tableau du personnage « en rouge » face à nous, à l’arrière du groupe mondain, que l’on retrouve dans le tableau principal qui pourrait-être d’après Emilie Beck Saeillo « le commanditaire ». Sa disparition dans notre tableau confirme que ce dernier fut surement commandé par un autre commanditaire, Vernet aurait donc possiblement demandé à ce que ce personnage ne fasse plus partie des représentés.
L’experte nous mentionne
« Tous les artistes qui le fréquentèrent en témoignent : Vernet n’était pas avare de conseils et partageait assez généreusement son carnet d’adresses. Il en fit certainement profiter l’Académie de Marseille, ses professeurs et ses élèves. Il rédigea sans doute quelques lettres de présentation (…) recommanda l’Académie phocéenne à des amateurs susceptibles d’encourager l’institution par une contribution ou un présent. Vernet, et il en avait certainement tout à fait conscience, fut aussi et surtout, pour les professeurs et les élèves de l’Académie phocéenne, un modèle de réussite sociale et professionnelle. »
Ces trois tableaux, parfaitement similaires dans leur composition mais légèrement distincts dans leur exécution, incarnent l’essence même du travail collectif au sein de l’atelier de Joseph Vernet. Ils illustrent à la fois l’autorité artistique du maître et la pédagogie envers ses élèves.
Ces œuvres, entre la main du maître et celle des apprentis, témoignent d’un équilibre subtil entre tradition, apprentissage et production artistique.
A ce titre, ce tableau illustre magnifiquement l’approche de Vernet et de son atelier, mêlant romantisme, précision et hommage à la Méditerranée et à l’Académie Phocéenne.
Il s’agit d’une œuvre à la fois représentative de son époque et singulièrement poétique, où chaque élément semble raconter une histoire tout en capturant l’essence de l’art du paysage.
C’est un panorama riche de l’art de Vernet, où le local, l’idéal et le narratif s’entrelacent avec virtuosité
Dimension :H 71 cm xL 99 cm
avec cadre : H 85 x L 14 cm